12 Years A Slave (Steve McQueen, 2013)
12 Years A Slave | Réalisé par Steve McQueen | Avec Chiwetel Ejiofor, Michael Fassbender, Benedict Cumberbatch (USA, 2h13, 2013) | Date de sortie : 22 janvier 2014
Synopsis : Les États-Unis, quelques années avant la guerre de Sécession. Solomon Northup, jeune homme noir originaire de l’État de New York, est enlevé et vendu comme esclave. Face à la cruauté d’un propriétaire de plantation de coton, Solomon se bat pour rester en vie et garder sa dignité. Douze ans plus tard, il va croiser un abolitionniste canadien et cette rencontre va changer sa vie…
En
découvrant ce sujet oscar-friendly,
un frisson d'horreur nous parcourt l'échine : comment
pourrait-on échapper au pathos et au mélodrame dégoulinant en
racontant un tel destin ? Si la lecture du scénario, très
classique de prime abord, confirme ces craintes, le nom du
réalisateur affilié au projet tempère ces inquiétudes (sans
toutefois les invalider complètement). Artiste contemporain avant
d'être faiseur hollywoodien, Steve McQueen s'est imposé, en
seulement deux longs-métrages, comme un cinéaste radical, enclin à
saisir la brutalité de notre société. Pour autant, le piège du
sentimentalisme, ce fameux « syndrome La Couleur pourpre »,
est un gouffre dans lequel il apparaît aisé de plonger, surtout
lorsque le matériau principal est un scénario-guêpier aux
allures d'ornière impossible à sublimer.
C'est
sans compter sur l'intelligence du réalisateur qui a, visiblement,
bien compris que l'essentiel était ailleurs, qu'il lui fallait,
avant tout, proposer une mise en scène probante afin d'exhumer le
coup de poing recherché. En ne se fourvoyant pas au nom du système
américain et des sacro-saints films en costumes, Steve McQueen
poursuit son étude de l'esclavage, et plus généralement de
l'aliénation, dans un long-métrage entretenant, avec ses
prédécesseurs, une plus grande parenté que prévu. Hunger,
Caméra d'Or à Cannes en 2008, nous montrait un corps – celui de
Michael Fassbender - décharné, utilisé à des fins politiques,
broyé pour mieux faire entendre une résignation que l'on aurait
voulu faire taire. Quant à Shame, il était le miroir de
l'addiction sexuelle, d'un asservissement que rien ne parvenait à
panser.
12
Years A Slave approfondit ce sillon en délaissant les
métaphores. Steve McQueen ne souhaite pas mettre en scène
l'injustice, l’innommable soumission, il veut seulement montrer la
vérité dans toute sa laideur. La douceur émanant des paysages, où
la pureté des plans rappelle le plus beau de Terrence Malick, est un
leurre qui finit par s'entrechoquer avec la violence des séquences.
Même proches de l'insoutenable, les scènes durent juste le temps
qu'il faut, celui au cours duquel elles s'impriment sur la rétine du
spectateur, qui sortira épuisé par ce combat, puis disparaissent
sans avoir cédé à la démonstration.
Ne
brillant ni par son héroïsme, ni par sa couardise, Solomon est un
homme ordinaire, condamné à dissimuler ses connaissances, à faire
la chose la plus difficile qui soit : attendre. Attendre qu'une
opportunité se présente, attendre de vivre ou de mourir, attendre
sans savoir si l'issue est proche ou lointaine. Steve McQueen aurait
pu faire de son personnage principal une icône, il le replace, au
contraire, dans un contexte réaliste où seule la conservation de sa
dignité possède un sens. A l'instar de Solomon, le personnage
d'Edwin Epps semble plus complexe qu'une simple figure de bourreau
impitoyable. Au final, sa duplicité et sa brutalité ne servent qu'à
exorciser les démons d'un individu finissant par se haïr d'oser
désirer une esclave.
Privé
d'indication temporelle (cela fait-il un an, deux ans, dix ans que
Solomon est ici ?), le spectateur est, quant à lui, plus qu'un
simple observateur : il entre en empathie physique avec ces
personnages, envahi par le sentiment de n'avoir jamais vu l'esclavage
filmé de cette façon. Par une lettre qui se consume, la gravure des
noms d'êtres chers sur un violon, le douloureux contrechamp sur des
blessures au fouet, le cinéaste échappe aux normes du film
didactique, transformant le devoir de mémoire en objet plastique
dont la rugosité et la viscéralité feront date.
Céline Bourdin.
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